Le Livre
La série « Moscou 1994 » marque les débuts en photographie de Franck Pourcel. Influencé par la Street Photography américaine, il révèle dans les rues moscovites une écriture déjà fortement personnelle et une empathie pour les sujets qu’il photographie, qu’ils soient humains ou paysagers. Ses images témoignent d’un pan de l’histoire contemporaine de la Russie, juste après la perestroïka, et renvoient l’image d’une société et d’une ville en pleins bouleversements. Près de 30 ans après ce voyage fondateur, entre documentaire et poésie du quotidien, les photographies de Franck Pourcel montrent avec subtilité la globalisation du monde déjà en marche. Leur confrontation avec la récente et tragique actualité mesure les espoirs déçus de tout un peuple qui croyait alors en un monde meilleur.
Extrait du texte de Franck Pourcel :
« La chute du bloc soviétique entraîne la libéralisation économique du régime totalitaire, collectivisé et planifié qu’était l’URSS. Elle se poursuit sans interruption depuis 1990. C’est l’année de mon entrée à l’école d’Aubagne. Je découvre la photographie en même temps que le monde dans lequel je vis. Tout paraissait si lointain devant le poste de télévision de mes parents, à Sénas, dans le nord des Bouches-du-Rhône. Tout devient désormais accessible. Découvrir le monde, le raconter. Devenir un baroudeur et voyager. En ce mois de septembre 1994, je pars en autostop jusqu’à Paris, je trouve un bus pour Amsterdam puis pour Berlin, un troisième pour Varsovie. Un dernier bus de travailleurs émigrés me conduira à Minsk en Biélorussie. J’arrive enfin en gare de Belorusskaya, à Moscou, en train. La ville s’ouvre et s’offre à moi. Je suis dans ce moment charnière entre le monde d’avant et le monde d’après. Cet « en même temps » que Serge Daney définit comme étant « le temps même de l’émotion ».
Je parcours sans relâche la ville et ses quartiers, les marchés, les sorties de métro, les magasins, les monuments, les rues et je regarde les habitants. Tout m’est familier et en même temps me semble différent. Une partie d’échecs se joue dans le banya de Moscou. Les pièces du jeu comme les hommes sont immenses. Tout est démesuré dans un pays qui a la dimension d’un continent. Cette partie d’échecs révèle les tensions politiques de la Russie et fait résonner cet entre-deux. Sommes-nous face à des émergences ou à des survivances ? Est-ce la fin du communisme et le début du capitalisme ? Telles sont les questions que je me pose alors. Espoirs et désenchantements se lisent sur les mêmes visages fermés. L’Occident apparaît pour la première fois sur les murs à travers ses emblématiques publicités américaines : Coca-Cola, Marlboro, et surtout McDonald’s dont j’assiste à l’ouverture du premier restaurant dans le centre de la capitale. Dans l’insouciance et avec intuition, je photographie. Il y a comme un rendez-vous des mémoires, celles passées de vies brisées par l’enfer stalinien et celles en devenir de ce qui sera bientôt l’instauration de nouvelles dictatures. Mais en ce mois de septembre 1994 aux jours incertains, il reste l’utopie d’un monde meilleur. »