Le Livre
Comme de nombreux photographes, Bruno Cordonnier replonge dans ses archives en 2020 à la faveur du confinement. Il y redécouvre un millier de planches-contacts immortalisant en noir et blanc quelques années de sa vie, entre 1986 et 1994, alors qu’il travaillait la nuit comme tireur dans un grand labo parisien. Paris vibre alors d’une ambiance de fête. C’est la grande époque des night-clubs et des boîtes de nuit, qui libèrent les mœurs et déchaînent les corps, attirant aussi bien des célébrités que des anonymes, des artistes, des stars, des intellectuels ou des noctambules. Ouverts en 1978, le Palace et les Bains Douches sont célèbres pour leurs soirées extravagantes et leur clientèle éclectique, où la scène musicale croise celle la mode et de la publicité, créant de nouvelles sensations visuelles faites de décors à paillettes, de boules à facettes et autres lasers. Mais derrière cette effervescence joyeuse, l’épidémie de sida gagne du terrain, frappant en premier lieu la communauté gay et les toxicomanes.
Quelques visages célèbres apparaissent au détour d’une photo, mais ce qui intéresse Bruno Cordonnier, on le sent, c’est la mixité sociale propre à la nuit, estompant les différences d’origines et de classes. Sa proximité avec les danseurs, qui à la fois jouent avec son objectif et semblent s’en moquer éperdument, lui permet d’être au plus près des corps, de saisir à la fois les enjeux de séduction et l’incroyable liberté qui se dégage de cette période. Vêtements, coiffures, maquillages, accessoires, tout concourt à la fabrication d’une gigantesque scène théâtrale où se côtoient drag-queens et looks extravagants, noyés sous la mousse qui fait son apparition.
Plonger aujourd’hui dans ces images nous ramène à sonder l’essence de la danse et son pouvoir transgressif. Comme si dans l’extase qu’autorisaient ces temples de la nuit s’exprimait une liberté sexuelle contrariée par le sida. Bruno Cordonnier quitte ce monde hédoniste en 1994, rangeant alors comme il le dit « ses photos de nuit dans une boîte ». Trois ans plus tard, son ami Christophe, qui lui avait ouvert les portes de la nuit, sera emporté par le VIH à l’âge de 33 ans.
Bruno Cordonnier (né en 1964) et Ariel Kenig (né en 1983) ont vingt ans d’écart, ce qui rend encore plus intéressant le regard que porte l’écrivain sur cette période révolue, souvent fantasmée par sa génération. Ayant lui-même beaucoup fréquenté bien plus tard les clubs de la capitale, Ariel Kenig s’est plongé avec passion dans les photographies de Bruno Cordonnier.